The Grand Tour (2015) 
15'

Joanna Bailie

The Grand Tour (2015)
15'

Entre les pôles de la composition musicale et des arts visuels, Joanna Bailie a cette position rare d’avoir toujours voulu être cinéaste et compositrice. Son intérêt se porte autant sur la musique que sur des phénomènes utilisés dans le cinéma : camera obscura, durée d’exposition variable, variations de focus, arrêts sur image, rapport entre objets discrets et continuité — techniques qu’elle met en rapport avec des processus musicaux. Par ailleurs, et malgré la grande importance qu’elle accorde aux procédés techniques et aux relations possibles entre les médias, Bailie met en scène des obsessions telles que la nostalgie, la photographie de famille, l’érosion de la mémoire, et parvient à faire tenir en équilibre ces niveaux conceptuels, narratifs et sentimentaux avec une apparente simplicité.

Son film Le Grand Tour (2015) est à la fois un commentaire de photos de famille (avec la voix off de l’artiste en narratrice), une méditation sur le temps, celui de la photo, du passé des personnes disparues. La photo et la musique partagent un rapport intime à la mémoire ; la photo parce qu’elle est un infime prélèvement d’un moment passé, la musique parce qu’elle est la tentative de reproduire un moment. Une photo, en ce sens, est une musique qui a réussi, une musique qui sans effort fixe éternellement le moment choisi. Et c’est là, dans ce point nodal de notre expérience du temps que Bailie travaille : en négociation permanente entre le passé et le présent. Le Grand Tour est un film d’animation, au sens propre, qui anime des images fixes, les associe et les dissocie de leur environnement sonore, et qui par succession suggère les chaînons manquants. C’est aussi un film de réanimation à la fois des visages photographiés et des moments appelés par le contexte de la photo. Chaque photo agit comme effecteur de mémoire, et leur mise en séquence (de la même manière que la musique met des sons en séquence) crée, de proche en proche, l’image du souvenir et l’illusion d’un pouvoir sur son inévitable érosion. Ici apparaissent des spectres, êtres photographiés aujourd’hui disparus, et leurs corollaires sonores à jamais révolus.