Ø ep 11 (2017) 
6'39

Trond Reinholdsten

Ø ep 11 (2017)
6'39

Dans les décombres du modernisme, plusieurs attitudes cohabitent : l’exaspération solitaire, la réduction au classicisme, la nostalgie précoloniale, etc. En équilibre entre la nostalgie d’un romantisme spéculatif wagnérien (dont le modernisme est un avatar), une ironie, une autodérision et un sens de l’absurde qui tient des premiers Monty Python, tel est l’endroit où se situe Trond Reinholdtsen. D’abord fortement influencé par l’art conceptuel, par l’esthétique de la Volksbühne, par Godard, il cherche à résoudre les impossibilités et l’obsolescence du modernisme par une fusion de tous ces éléments dans un vaste cycle : Ø.

Dans une maison privée uniquement dédiée à ce projet, il réalise depuis plusieurs années des compositions visuelles, musicales, scéniques, filmiques, qui tiennent à la fois de la saga wagnéro-scandinave, de l’orgie à la Flaming Creatures de Jack Smith, de la discussion théorique. Cette ligne violemment grotesque serait à elle seule un remède au ton compassé et pusillanime des nostalgiques du modernisme, si elle n’était pas elle-même une nostalgie d’un monde ou Adorno avait toujours raison.

Ø est un concentré — de références, de parodies, de destruction, de commentaires — sur le faire de la musique, faire du spectacle, faire un opéra, être un compositeur, soutenir une idéologie aujourd’hui, et c’est certainement l’inversion des valeurs — voix des chanteurs ridiculisées, décors en papier mâché, histoire illisible, monologues boursouflés évoquant le Crépuscule des Dieux —, propre au carnaval (le roi est fou pour un jour) qui était la seule posture possible. On ne peut insulter le roi qu’en se faisant passer pour fou.

La vidéo est ici une arme de mise à distance de la musique par le compositeur : il ne s’agit plus de travailler sur le matériau musical (sons, structures, timbres) en composant des partitions, mais de travailler sur le regard et l’écoute du matériau musique (histoire, références, politique) et de le mettre en scène. La composition devient ici une mise en scène de la musique, dans une fantaisie carnavalesque et démesurée, un long voyage dans l’envers d’un décor d’opéra, dans lequel le spectateur se regarde lui-même du fond de la scène.