L’éclatement du rôle du musicien-interprète depuis l’avènement de l’enregistrement, du film, d’Internet, de la musique liée à l’informatique a ouvert un champ de possibilités esthétiques : qu’est-ce qu’un musicien sur scène, pourquoi ? Si l’on peut écouter un enregistrement magnifique d’une œuvre, qu’est-ce qu’une interprétation en direct offre d’irremplaçable ? Qu’est-ce que le temps d’une œuvre, où sont ses limites ? Jouer subtilement entre le passé de l’œuvre, son enregistrement, sa restitution dans le lieu du concert, sa nécessité du moment estompe les possibles réponses au profit de la multiplication des écrans, du pré-enregistré, et toutes les zones intermédiaires où le corps physique se transforme en corps virtuel.
Nous savons désormais que l’identité, l’originalité, le centre d’une œuvre musicale sont des mythes : qu’est-ce qui est joué, montré, emprunté, aléatoire, fortuit, composé ? Thème classique de la science-fiction et du jeu vidéo, le corps devient acteur monstrueux (car dénué de filiation biologique), tour à tour démiurge, victime, témoin, acteur, voyeur voyant. C’est ce dialogue, entre le musicien sur scène et les corps sonores technologiques (haut-parleurs, synthétiseurs, ordinateurs, caméras, projecteurs) que Stefan Prins met en scène dans sa série de pièces intitulées Piano Hero. Extension du pianiste sur l’écran, remplacement du pianiste par son image filmée, déplacement de la source du son depuis les doigts vers les haut-parleurs, de la relation immédiate geste/son vers la projection du pianiste pré-filmé, mise en perspective du public qui écoute le pianiste écouté — toutes les stratégies de sape du concert sont mises en œuvre pour confirmer la nature spectrale de la musique : ce qui se cache derrière, à la fois écho, obsession, mémoire, et force active.