composer
l’image

Intégrer l’étrangeté du jeu instrumental — pourquoi quelqu’un tient un instrument et en joue s’il est un personnage et non seulement un musicien ? — est une des questions récurrentes du théâtre musical et du film-musique (lorsque celui-ci met en scène des personnages). Le théâtre classique joue sur le pacte qui prétend que pendant la durée de la pièce, Madame X et Monsieur Y, bien vivant devant nous, sont Cléopâtre ou Richard III. Dans le théâtre musical, ce pacte (possible, mais pas nécessaire) est souvent contourné par un flou discret sur la personne, la personnification et les rôles. On a le plus souvent à faire à des interprètes connus dans le domaine (David Moss) qui promènent leurs habitudes d’interprètes de pièce en pièce et qui n’incarne pas de rôle précis.

Natacha Diels joue le jeu contraire : les musiciens sont des personnages parce qu’ils sont musiciens, par ce qu’ils font en tant que musiciens. Et leurs instruments, réactions, positions, attitudes et interactions sont la source des images, enchaînements dans les films ou dans les pièces théâtralisées (si on peut encre établir un ligne de démarcation entre les pièces de concert et les pièces scéniques dans son cas). C’est ainsi, en répondant à « qui sont-ils » par « ils sont musiciens, c’est suffisant », que débute son « qui suis-je », son Self Portrait. Comme souvent dans cet exercice, il s’agit d’un autoportrait en creux, car on ne tirera guère d’information autobiographique, de confidence, de révélation sur l’artiste. Le mode de fabrication du film nous livre une piste : « Cette vidéo est un collage presque exclusivement monté à partir de choses (vidéos, musique, dessins) produites au cours des deux années qui ont précédé la réalisation (2014-2016). La plupart des éléments que j’ai utilisés sont issus d’un usage strictement personnel, et il s’agit donc d’une sorte de voyage à travers les matériaux que j’ai conçus durant cette période. » Si ces éléments ne nous donnent pas beaucoup d’informations sur qui est Natacha Diels, ils nous parlent de ce que fait Natacha Diels. C’est un autoportrait making-off, dans lequel sont livrés les matériaux et les idées qu’elle a mis en œuvre pendant une période donnée : obsession de la gémellité, filtre constant d’images réelles par des distorsions numériques qui leurs donnent une nature flottante, sans direction, sans passé, le tout disposé sur un fond soit noir soit indifférent à la perspective (comme un papier peint devant lequel danserait un mobile). Il s’agit peut-être de l’autoportrait de son imagination, déroulée sur cinq minutes dans une procession de symboles.