Œuvre pionnière de la transformation électronique du son en temps réel, Mantra de Stockhausen continue de fasciner compositeurs et interprètes. Jean-Frédéric Neuburger l’interprète à Musica en duo avec Jean-François Heisser.
C’est en rêvassant dans une voiture, sur une route du Connecticut, en 1969, que Stockhausen a « entendu » la mélodie de Mantra. Il a eu aussitôt l’idée de créer une pièce basée sur cette seule formule musicale, développée à grande échelle. Il nota donc la mélodie sur une enveloppe mais n’y repensa plus. Un an plus tard, alors qu’il était à Osaka, au Japon, et tentait de composer une pièce pour deux pianos à l’intention des frères Kontarsky, l’idée de Mantra lui est revenue ; à savoir, celle d’une pièce basée sur une mélodie de treize notes mais se déployant, comme une galaxie, pendant plus d’une heure. Influencé par les principes weberniens de déduction et d’unité organique, Stockhausen rompait ainsi avec sa période « aléatoire », au profit de ce qu’il a appelé une « systématisation intégrale ». C’est néanmoins par sa manière d’étendre les possibilités sonores d’un duo de pianistes en intégrant à leur jeu des percussions et un dispositif électronique (oscillateurs, modulateurs en anneaux, récepteur à ondes courtes) que cette œuvre a fait date.
Jean-Frédéric Neuburger, pianiste et pédagogue formé par Jean-François Heisser rappelle : « Mantra est l’une des toutes premières œuvres basées sur la transformation du son en temps réel. Jusqu’alors, les solistes jouaient avec des sons préenregistrés sur bande ; ce qui figeait l’interprétation. L’autre chose qui m’a séduit dans Mantra, c’est qu’il s’agit d’un voyage : il y a une grande unité entre le projet original et ce qui est joué, le mantra régit la grande forme autant que les petits détails de l’œuvre. Il ne fait pas l’objet de variations, sur le modèle des Variations Goldberg, comme certains l’ont cru et écrit, tout est absolument déduit de la série de douze notes, plus une, qui est la reprise de la première. En plus d’être passionnante du point de vue conceptuel, Mantra est une pièce très amusante pour les pianistes et donc pour le public. Je crois que c’est bien la seule du répertoire où l’on nous demande, en plus du clavier, de jouer également des wood blocks et des crotales sur scène ! ».