Fin de la manifestation à 19h30
Singulière, la démarche créatrice de Giacinto Scelsi (1905-1988) l’était à plus d’un titre. Le compositeur italien disait recevoir sa musique d’un deva, divinité de l’hindouisme, et se livrait donc le plus souvent pour la recueillir à de longues séances d’improvisations à l’Ondioline, qu’il enregistrait et faisait transcrire par un tiers. Il paraît dès lors naturel que de fins improvisateurs comme Jean-Marc Foltz, Stéphan Oliva et Bruno Chevillon aient souhaité s’imprégner de sa musique pour improviser ensemble dans l’esprit du maître italien.
Instigateur de ce projet, le clarinettiste Jean-Marc Foltz fut marqué au début des années 90 par la découverte d’une musique qui, deux décennies auparavant, avait déjà fait forte impression sur les compositeurs de l’école « spectrale » naissante. La concentration sur le son lui-même, que Scelsi envisageait dans son rapport avec le Cosmos, provoque un changement d’échelle, voire de paradigme musical. Les musiciens court-circuitent les questions de syntaxe pour se concentrer sur les vibrations acoustiques, et produire de façon osmotique un timbre fusionnant. Si les textures statiques dominent, suggérant une attitude méditative, le propos n’est pas de provoquer une béatitude éthérée, mais bel et bien une conscience accrue du son, détachée peut-être, mais extrêmement lucide. Bien que les quatorze « songes » qui balisent cette improvisation constituent les mouvements d’une suite, ils n’empêchent aucunement des processus musicaux qui les débordent, et l’on aura par moment l’impression de suivre le cheminement initiatique d’un grave magmatique vers une clarté radiante.
La pénombre reste néanmoins le domaine de prédilection du trio, qui mêle à ses instruments privilégiés des timbres de percussions, peaux, gongs et bols tibétains. Résonances de piano, sons harmoniques, timbres de clarinette basse et de contrebasse, roulements sur des peaux graves trouvent leur contrepartie dans les pizzicati, le jeu des cordes avec une baguette, les slaps et les attaques percussives.
Un jeu sur les micro-intervalles apporte son lot de teintes et d’irisations. Il nous permet surtout d’échapper à l’emprise du tempérament égal pour accéder au monde du continuum et de l’entre-deux pour savourer l’intervalle pour lui-même. Comme dans le rāga indien, la perception du micro-intervalle se fait avec plus d’acuité si elle est ancrée à une tonique, sorte de pôle magnétique qui pourra rappeler par moments les Quattro Pezzi su una nota sola de Scelsi. Le souffle (soffio) qu’évoque le titre est, bien plus qu’un simple mouvement de l’air, un flux vital qui, au-delà des musiciens, étend sa portée jusqu’au public. Là aussi réside l’esprit de Scelsi.