Personne n’aurait misé, il y a une poignée d’années, sur la résurrection scénique de Marquis de Sade. Fondé en 1977, le groupe avait tout juste eu le temps d’enregistrer deux disques influents qui lui avaient apporté une certaine notoriété puis s’était scindé brutalement dès avril 1981. Une exposition collective organisée par le plasticien breton Patrice Poch pour les quarante ans de la naissance du groupe aura pourtant infléchi tardivement et contre toute-attente le cours de cette histoire qui, entre-temps aura été déterminante pour plusieurs générations d’artistes français exigeants (Étienne Daho, Dominique A, Yann Tiersen, Miossec et, aujourd’hui, une nouvelle scène hexagonale de « jeunes gens modernes »).
À Rennes, où Marquis de Sade est remonté sur les planches le 16 septembre 2017 devant 3000 personnes, l’aura du groupe ne s’était jamais vraiment évaporée. Philippe Pascal, chanteur au charisme scénique resté intact, Frank Darcel, incisif guitariste de la première heure, la section rythmique formée par Thierry Alexandre (basse) et Éric Morinière (batterie et percussions) et Daniel Paboeuf (saxophone) y étaient attendus de pied ferme par une foule extraordinairement attentive. Le quatuor s’était entouré de quelques invités, parmi lesquels le guitariste Xavier « To » Geronimi.
Invités par Musica, L’Ososphère et l’Opéra national du Rhin pour une soirée exceptionnelle, on les retrouve à Strasbourg où leur présence prend une résonance européenne particulière. Le halo de lumière sombre qui émanait de ce groupe dès ses origines pouvait être vu comme signe de l’adhésion à l’esthétique et à l’idéologie punk, mâtinée d’influences telle que celle de la New Wave, mais se nourrissait avant tout d’une fascination pour l’expressionnisme de Schiele, des précurseurs Munch et Klimt, des films de Murnau ou encore du jeu d’acteur de Conrad Veidt, ce dernier ayant d’ailleurs inspiré une des chansons les plus emblématiques du groupe. Comme en témoigne notamment le trilinguisme des textes chantés, même si l’anglais prime sur le français et l’allemand, ces racines étaient plongées dans un rêve de construction culturelle européenne qui, dans le contexte géopolitique actuel, pourrait lui aussi être tenté de faire un come back.
C’est dans leurs deux albums que nos musiciens puisent le programme de leur concert. Les titres de Dantzig Twist (1979) y sont un peu plus représentés que ceux de Rue de Siam (1981), articulant l’esthétique plus rêche du premier à la sophistication fluide du second dans une interprétation rigoureuse et engagée qui décline avec une élégance électrique l’intemporalité des compositions et climats de l’un comme de l’autre.
Ce que le public entendra n’est sans doute ni une rupture ni une nostalgie, mais au contraire un style solide et singulier, unifié de surcroît par une scénographie lumineuse soignée et une composition vidéo pleine de sens. Et Strasbourg fera assurément mentir ces paroles : « Le sens expire, l'expression prime. La ville n'est plus qu'une vitrine où Conrad Veidt danse ».
Coproduction L’Ososphère, l’Opéra national du Rhin et Festival Musica