Julia Wolfe, une conscience américaine
Julia Wolfe fait vasciller la vieille ligne de partage entre musique populaire et musique savante tout en portant son regard sur les scènes de la vie sociale américaine. Un portrait de la compositrice signé par le philosophe Lambert Dousson.
par Lambert Dousson
Qui a découvert l’Amérique dans les années 1980 en s’abreuvant de séries télé a peut-être encore en tête la sentence de Miss Grant qui ouvrait le générique de Fame : « You want fame ? Well, fame costs. And right here is where you start paying… in sweat » (Vous voulez la gloire ? Eh bien ça se paie. Et chez moi ça se paie en une seule monnaie : la sueur).
L’annexion cruelle (car dénuée de toute illusion) de l’art et des rêves de gloire à la brutale réalité économique du travail : voilà ce qu’il fallait comprendre du message de la redoutable professeure de danse, dans lequel on peut reconnaître l’utopie mélancolique qui définit, pour reprendre le titre du livre d’Agnès Gayraud, la « dialectique de la pop ». Sa première valeur d’échange était la dépense d’énergie corporelle. Le film homonyme d’Alan Parker (1980) duquel fut extraite la série était en effet beaucoup moins naïf que ce que nos souvenirs de télévision nous ont laissé du générique de la série. Demeurent, bien sûr, ces moments d’improvisation collective, où du vacarme d’un réfectoire bondé émergeaient progressivement un rythme, un riff, une ligne de chant, une chorégraphie (Fame devait initialement s’intituler Hot Lunch, avant que Parker ne découvre que ce titre, en réalité très suggestif, était déjà pris pour un film pornographique en cours de tournage non loin du sien).
La jubilation contagieuse qui s’exprimait alors ne s’encombrait pas d’une exaltation individualiste de la performance technique (à la différence, par exemple, de Flashdance, sorti en 1983). Elle jouait de la promiscuité sensuelle des corps et du vacarme persistant de la vie. Aussi cette séquence faisait-elle écho aux premières minutes du film, à la collision des bruits de circulation sur Amsterdam Avenue avec la cacophonie des musiciens, serrés les uns contre les autres, chacun répétant pour soi sa partition. Peut-être l’esprit de John Cage peuplait-il ces lieux…
Cependant, ces moments de grâce sont rares. Et le fil narratif qui se dévide devant nos yeux met progressivement au jour le refoulé social de la célébration des minorités raciales et de leur émancipation dans l’art (pour peu qu’elles donnent de leur sueur), l’une comme l’autre (la célébration et son refoulé) ne s’épargnant pas il est vrai les clichés : les ghettos où habitent Leroy, danseur black surdoué dont l’insolence dissimule l’illettrisme, et Ralph, comique portoricain dont le pouvoir de faire rire mit un jour en fureur son père, qui déchargea sa violence sur sa petite sœur alors âgée de cinq ans, depuis handicapée ; Hilary, riche franco-américaine obligée d’avorter pour sauver sa carrière de danseuse après avoir couché avec Leroy dans un geste de défi adressé à ses parents ; Coco, chanteuse métisse noire et latino, forcée de se dénuder devant la caméra d’un réalisateur porno amateur qui l’a piégée. S’en sortent sans trop de casse Doris, comédienne introvertie étouffée par sa mère juive et libérée par le théâtre, Montgomery, bouleversant acteur homosexuel irlandais, et Bruno, pianiste italien militant de l’abolition technologique de la frontière entre art savant et art populaire, qui à deux reprises massacre l’irrésistible crescendo ouvrant le mouvement final de la Cinquième de Beethoven : une première fois avec ses synthétiseurs lors de l’épreuve de recrutement, la seconde avec toute sa promo, deux par deux devant les huit pianos droits désaccordés de la classe de Monsieur Shorofsky, vieil immigré russe professeur de musique. Mais le plus symptomatique de cette ambiguïté où l’art est travaillé par la violence économique et sociale, est peut-être la scène finale du film avec son spectacle de fin d’année, si fade au regard des jams improvisés qui l’ont précédé, qu’il ne permet de tirer comme conclusion que celle de la leçon de Miss Grant, la désillusion.
Julia Wolfe (1958), qu’on voit ici sur une photographie prise en mai 1992 âgée de 34 ans et entourée de John Cage, David Lang et Michael Gordon (on y reviendra), enseigne aujourd’hui à la Faculté de composition musicale du Département de musique et des arts du spectacle de la Steinhardt School de l’Université de New York. Sans aucun doute les lieux sont-ils moins délabrés que ceux de la Fiorello H. LaGuardia High School of Music & Art and Performing Arts qui sert de décor à Fame. Mais comme là-bas, on y enseigne aussi bien la chanson (songwriting), la musique pour l’écran (screen scoring) que la musique de concert (concert composition). Surtout, la production de Julia Wolfe exprime tout entière ce mélange urbain d’art savant et d’art populaire, de musique et de bruit, de jubilation des corps et d’une conscience de la violence sociale et politique qui fut le moteur de l’histoire des minorités et des ouvriers en Amérique. riSE and fLY (2012), jubilatoire « body percussion concerto » présenté en création française lors de l’édition 2019 du festival Musica, concentre toutes ces dimensions en s’inspirant des rythmes des chansons ouvrières américaines, des musiques des rues et du métro de New York, et en particulier de leur bric-à-brac de percussions bricolées, pour composer une « musique folklorique urbaine pour orchestre » (urban folk music for the orchestra), pour reprendre les termes de la compositrice.
Alex Ross a montré comment l’absence de frontière hiérarchique entre musiques dites « sérieuses », « savantes » ou « d’art » et musiques dites « légères », « populaires » ou encore « fonctionnelles » fut pour de nombreux compositeurs américains une décision fondatrice et pourtant ambiguë. Elle revenait en effet à clamer leur indépendance à l’égard de la tradition européenne (la marque d’une liberté artistique), tout en constituant un moyen de (sur)vivre économiquement de leur art (au prix parfois d’un renoncement à cette liberté). L’histoire de la musique américaine est en effet aussi bien celle de musiciens juifs européens qui pour fuir le nazisme durent se plier douloureusement au capitalisme des producteurs hollywoodiens (d’où est pour une part issu le style néoromantique de nombreux compositeurs encore aujourd’hui),que celle d’un George Gershwin (1898-1937) ou d’un Leonard Bernstein (1918-1990), dont les productions enveloppent avec bonheur des songbooks, des comédies musicales comme des œuvres de musique orchestrale ou de chambre. Réfugiés ou enfants de réfugiés, leur rencontre avec le jazz, rappelle pour sa part la philosophe Lydia Goehr, dont les musiciens furent longtemps traités au mieux comme des parias par les lois et les représentations raciales en vigueur, fut aussi décisive que l’imprégnation du riche folklore multiculturel nourri par cette « nation d’immigrants », pour reprendre le titre du livre posthume de John F. Kennedy.
Mais tandis que la musique d’Aaron Copland (1900-1990) — homosexuel, profondément révolté contre la violence sociale et victime du maccarthysme — travaillait à peindre avec une grande acuité la prétendue wilderness naturelle et culturelle des grands espaces américains (Billy the Kid, 1938 ; Appalachian Spring, 1943-1944), les minimalistes comme Steve Reich (1936) ou Philip Glass (1937) considérèrent que les paysages industriels et (péri-)urbains des États-Unis constituaient leur véritable (seconde) nature. Et c’est bien ce que leurs premières œuvres reflètent. Radicales et objectives dans leurs processus, agressives et jouées à un niveau sonore élevé (Music in Fifth, 1969, de Glass), refusant tout lyrisme et toute expressivité instrumentale (flûtes, saxophones, synthétiseurs et voix sans paroles ni vibrato comme dans Music in twelve Parts, 1971-1974, de Glass), elles ont émergé du bouillon de culture artistique dans lequel leurs auteurs se formèrent au milieu des plasticiens et des rockeurs à leur tour influencés par elles. Glass fréquente la Factory d’Andy Warhol, et collabore avec Brian Eno et David Bowie sur sa Low Symphony (1992). Une photo de la performance du 2 mai 1969 de Pendulum Music (1968) de Reich au Whitney Museum of American Art de New York montre comme exécutants Richard Serra, James Tenney, Bruce Nauman et Michael Snow. Plus tard, Electric Counterpoint (1987) sera écrit pour le guitariste de jazz Pat Metheny, et Radio Rewrite (2013, pour ensemble) s’inspirera librement de deux chansons du groupe Radiohead que Reich a découvert à travers le film There Will Be Blood (2007) de Paul Thomas Anderson. La culture — c’est-à-dire ce mélange de haute culture moderniste et de (contre-)culture pop, qui est également une marque de la littérature américaine — devient ainsi pour ces musiciens un signifié autant qu’un signifiant, c’est-à-dire aussi bien un référent et un matériau qu’une manière de définir la pratique même de la composition.
Héritière de cette histoire, reconnaissant parmi ses influences primitives Reich, Glass, György Ligeti (1923-2006), Meredith Monk (1942) et Louis Andriessen (1939), Julia Wolfe incorpore de manière polymorphe cette hybridation de sources et d’esthétiques dans la substance même de sa poétique musicale au sein d’œuvres virtuoses pour autant parfaitement identifiables dans leur appartenance à la catégorie « musique contemporaine » (parfois désignée par leurs auteurs et leurs commentateurs comme New Music ou Post-classical Music). De cet alliage résulte une musique d’une très grande énergie, pulsée, souvent dissonante et agressive, parfois volontairement chaotique, cacophonique même, selon ses propres termes, à des lieues en tout cas de l’esthétique post-minimaliste postmoderne un peu douceâtre d’un Gavin Bryars (1943) ou plutôt kitsch d’un Michael Nyman (1944).
Lick (1994, pour ensemble amplifié de 6 musiciens) s’ouvre ainsi dans une temporalité fragmentée et suspendue, atonale pourrait-on dire, avant que la rythmique de la musique funk à l’écoute de laquelle Julia Wolfe dit avoir grandi ne contamine rapidement les lignes instrumentales — la dette envers James Brown (1933-2006) est explicitement assumée, mais ne se révèle qu’à la toute dernière minute.
Le terme lick est initialement dérivé du blues, et la pièce elle-même, la première du catalogue de Julia Wolfe où l’influence pop est pleinement intégrée pour devenir la griffe de son travail, sera rapidement considérée comme une œuvre-manifeste pour la nouvelle génération de compositeurs qui incorporent la musique pop à leur écriture. La même énergie rock irrigue l’obstination rythmique et harmonique de Believing (1997, pour ensemble amplifié de six musiciens), dont le titre provient des paroles de la chanson psychédélique de John Lennon (1940-1980), « Tomorrow Never Knows », que Julia Wolfe écoutait pendant qu’elle composait. Mais ses dernières mesures entropiques sont précédées d’une minute à la fois d’une grande douceur et d’une grande intensité, lorsque l’on entend la violoncelliste (en l’occurrence Ashley Bathgate, du Bang on a Can All-Stars, ensemble pour lequel Julia Wolfe a écrit Lick et Believing, dans la vidéo ci-dessous) se mettre à chanter une mélopée tout en continuant à jouer de son instrument.
Les six pianos de my lips from speaking (1993), pour leur part, « fragmentent, déploient, et transforment sauvagement », écrit Julia Wolfe, les premiers accords de Think d’Aretha Franklin (1942-2018) : évoqués fugitivement dans les premières mesures d’une œuvre contenant aussi de grands silences qui semblent ouvrir de l’intérieur la chanson originelle pour y mettre au jour le vide vertigineux qu’elle recèle, ils sont martelés « dans une sorte de frénésie extatique » au début du troisième mouvement, avant de se perdre dans la joyeuse polyphonie explosive qui conclut l’ensemble. Les sept premières minutes de Dark Full Ride (2002, pour quatre batteries) sont quant à elles un jeu dans l’espace sonore avec les deux cymbales du hi-hat qui s’entrechoquent, la multiplication produisant un effet paradoxal d’exaltation (instrumentale) et d’abstraction (conceptuelle) de l’instrument d’arrière-scène du rock.
Le rock est ainsi l’esprit qui plane sur la soixantaine d’œuvres que Julia Wolfe a composées aussi bien pour des formations conventionnelles comme le quatuor à cordes ou l’orchestre symphonique que pour le Bang on a Can All-Stars, légendaire ensemble instrumental formé en 1992 avec aujourd’hui Robert Black (contrebasse), Vicky Chow (piano), David Cossin (percussion), Mark Stewart (guitares) et Ken Thomson (clarinettes), et issu de l’association Bang on a Can, cofondée en 1987 par Julia Wolfe et deux autres compositeurs rencontrés dans sa jeunesse à Yale, Michael Gordon (1956), qui est devenu son mari, et leur grand ami David Lang (1957). À l’origine de très nombreuses créations, Bang on a Can acquit la célébrité dès sa création en 1987 en organisant notamment un Marathon Concert annuel (26 heures de musique ininterrompue pour son vingtième anniversaire dans l’atrium du jardin d’hiver du World Financial Center à New York), et en passant commande d’œuvres scéniques cosignées par les trois inséparables Gordon-Lang-Wolfe (qui ne révèlent jamais à quelles sections ils ont contribué), comme The Carbon Copy Building (1999, avec l’auteur de BD Ben Katchor), Lost Objects (2001, où la guitare et la basse électriques, le synthétiseur et la percussion jouent avec un orchestre baroque) ou encore l’opéra multimédia Shelter (2005). Auteurs d’une version instrumentale de la Music for Airport (1998) de Brian Eno (1948), le pape de l’Ambient Music, leur collaboration a aussi conduit à la création en 2015 de Cloud River Mountain, avec Gong Linna, star chinoise de la chanson fusion, contribuant à l’émergence d’un répertoire de song cycles hybridant pop et musique contemporaine, parmi lesquels on compte aussi les œuvres envoutantes de Sarah Kirkland Snider (Penelope, 2010 et Unremembered, 2015) ou celles, plus électroniques et nébuleuses, de Jenny Olivia Johnson (Sylvia Songs, 2012-2017).
Six pianos pour my lips from speaking, quatre batteries pour Dark Full Ride : cette prédilection du (post-)minimalisme pour la multiplication d’instruments identiques était déjà présente chez Reich (Six Pianos, 1973). On la retrouve également chez la new-yorkaise (comme Reich et Wolfe) Lois V. Vierk (1951, 五 Guitars (Go Guitars) pour cinq guitares électriques, Cirrus pour six trompettes, Simoom pour huit violoncelles), ou encore chez Michael Gordon (Timber pour six simantras ; Rushes pour sept bassons). Elle conduit la compositrice aux confins de la sonorité instrumentale dans sa parenté avec le bruit, et aux frontières de la perception dans sa capacité à amortir la violence. Il faut alors écouter Girlfriend (1998, pour ensemble amplifié de six musiciens), où de fragiles accords luttent avec des verres brisés et des enregistrements de dérapages de voitures, avant de céder à la pression de violents riffs percussifs enregistrés ; les dernières mesures dans l’hyper-grave de Stronghold (2008), « voyage au centre de la terre » pour huit contrebasses ; les quatre percussionnistes de l’ensemble SO jouant « toutes les choses que vous n’êtes pas censés faire à des instruments à cordes » dans Forbidden Love (2019) pour… quatuor à cordes ; mais aussi et surtout Lad (2007) et ses neuf cornemuses.
Cette dernière pièce est également représentative de la grande affection de Julia Wolfe pour la musique folklorique, qu’elle a beaucoup jouée dans sa jeunesse à Ann Arbor (Michigan), et dont certaines de ses œuvres portent l’empreinte. With a blue dress on (2010-2014), pour cinq violons avec partie vocale, puise dans l’enregistrement d’une complainte traditionnelle, « Pretty Little Girl With a Blue Dress On ». Reeling (2012, pour six instruments), s’ouvre par l’enregistrement de la ritournelle entraînante que fredonne un chanteur franco-canadien, autour de laquelle Julia Wolfe enroule (reel) progressivement les musiciens du Bang on a Can All-Stars, et tout se termine dans un joyeux bazar dont elle a le secret (Reel-to-reel désigne la bobine des vieux magnétophones).
Cruel Sister (2004, pour orchestre à cordes) épouse de son côté le fil narratif d’une ancienne ballade anglaise racontant le meurtre d’une femme par sa propre sœur pour conquérir le cœur d’un prétendant. Four Marys (1991), son premier quatuor à cordes, contient le souvenir du dulcimer, instrument traditionnel à cordes pincées des Appalaches qu’elle pratique elle-même. Instrument que l’on retrouve dans Steel Hammer (2009, pour trois voix et six musiciens), œuvre d’une heure construite à partir de fragments de deux cents versions de la ballade de John Henry, héros folklorique à la force surhumaine de la conquête de l’Ouest en chemin de fer — et figure de la gauche, des syndicats et de la contre-culture —, souvent représenté brandissant un marteau en acier face aux assauts de l’ère industrielle, incarnée par le marteau à vapeur.
C’est la dimension politique et sociale de la musique de Julia Wolfe qui se révèle ainsi pleinement dans cette œuvre, et qui a trouvé par la suite un premier aboutissement (provisoire) dans un autre projet important, Anthracite Fields (2014, pour chœur et six musiciens), dont le matériau provient d’interviews réalisées en Pennsylvanie de mineurs de charbon à la retraite et de leurs enfants, d’histoires orales, d’anciennes comptines d’enfants travaillant à la mine, d’une publicité pour le charbon, de descriptions géologiques, de l’index des noms de mineurs morts dans les accidents, d’une liste d’activités quotidiennes qui seraient impossible sans le charbon, et d’un discours politique enflammé du président du syndicat des mines de charbon. Créé en 2019, Fire in My Mouth (pour deux chœurs et grand orchestre) relate pour sa part l’incendie de l'usine Triangle Shirtwaist le 25 mars 1911 à New York, qui fut une des catastrophes industrielles les plus meurtrières de l’histoire de la ville en causant la mort de 146 ouvrières de l’usine de confection textile, essentiellement des femmes originaires du Sud de l’Italie ou d’ascendance juive européenne. Cette approche documentaire de la musique, Julia Wolfe la doit peut-être à Steve Reich, Beryl Korot et leurs opéras vidéo documentaires, The Cave (1990-1993) et Three Tales (1996-2002), puisque c’est à propos de ce dernier qu’elle a interviewé ses auteurs, dans un des très rares textes qu’elle a écrits.
Fire in my mouth connecte ainsi, dans la musique de Julia Wolfe, l’histoire ouvrière des États-Unis — qui est l’histoire des immigrés — à la question des femmes et à celle du corps, qui traversent avec insistance l’ensemble de son œuvre, comme en témoignent de nombreux titres : outre Fire in my mouth, Cruel Sister, Four Marys et my lips from speaking déjà mentionnés, relevons en particulier Guard my tongue (2009, pour chœur), Wind in my hair (2018, concerto pour violoncelle et orchestre), et surtout My Beautiful Scream (2014), immense cri au ralenti pour quatuor à cordes amplifié et orchestre, ce cri intérieur qu’elle a poussé en voyant un Boeing 767 éventrer le World Trade Center le 11 septembre 2001, alors qu’elle se trouvait au pied des tours, à une époque où, raconte-t-elle, sa vie était particulièrement belle. Big Beautiful Dark and Scary (2002, pour six musiciens) est le titre du mur de sons qu’elle composa peu après les attentats pour exprimer, selon ses propres termes presqu’intraduisibles en français, « how life feels right now ».
Comment la vie s’éprouve aujourd’hui même : voilà peut-être ce que la musique de Julia Wolfe fait entendre, là où se mêlent musiques savantes et musiques populaires, bruits urbains, joie et lutte des corps au travail.
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SOURCES
https://juliawolfemusic.com
https://bangonacan.org
Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, Paris, La rue musicale/La Découverte, coll. « Culture sonore », 2018.
Alex Ross, The Rest is Noise : à l’écoute du XXe siècle. La modernité en musique, traduit de l’anglais par Laurent Slaars, Arles, Actes Sud, 2010.
Lydia Goehr, Politique de l’autonomie musicale : essais philosophiques, traduit de l’anglais par Lambert Dousson et Élise Marrou, Paris, La rue musicale, coll. « Esthétique », 2016 (chapitre 5).
Lambert Dousson, « Politique de la voix archivée : sur les opéras vidéo documentaires de Steve Reich », Nouvelle revue d’esthétique 2/12 (2013), p. 67-80.