Nature alternative
Projet après projet, Alexander Schubert perce les frontières de la création musicale. Avec Asterism, il propose une forme inédite, hors norme, au croisement entre cultures numériques, spiritualités contemporaines et perception de l’environnement.
Asterism est un projet mystérieux que tu as décidé de ne pas spoiler avant sa création. Nous n’en dévoilerons pas les principaux aspects, mais peux-tu nous dire ce que signifie le titre ?
Le terme « astérisme » a plusieurs sens. En astronomie, c’est un ensemble d’étoiles que l’on peut saisir comme une entité, mais qui ne s’agglomèrent pas pour autant en une constellation précisément identifiée. C’est quelque chose que l’on perçoit, mais qui très vite nous glisse entre les doigts. En typographie, ce sont trois astérisques disposés en triangle qui permettent d’indiquer une rupture dans le flux du texte.
Est-ce une oeuvre pour une génération qui aurait perdu foi en son futur ?
Asterism s’intéresse à la réalité telle qu’on la considère aujourd’hui et à ce que notre avenir pourrait être, mais sans postuler un futur alternatif ni donner de réponse définitive. Plus qu’un spectacle ou un concert, c’est un lieu où l’on va pour trouver des réponses. Je dirais qu’on s’y rend pour vivre une introspection à la manière d’un pèlerinage. Le dispositif offre différentes perspectives sur notre monde, afin de déclencher en nous de nouvelles façons de percevoir l’environnement, et pourquoi pas le futur… On regarde les étoiles et on cherche à trouver des cohérences. On observe son environnement et l’on tente de saisir ce qu’il nous dit et comment lui répondre.
Le mot « pèlerinage » fait penser à un événement religieux…
Asterism n’est pas vraiment lié à la religion. Le projet concerne plutôt la quête de sens et la compréhension de soi ou du monde. La spiritualité en est une composante, au même titre que la rationalité. Je cherche moins à critiquer les quêtes de sens, qu’elles soient religieuses ou scientifiques, qu’à les mettre en action pour les faire agir positivement.
Si ce n’est pas vraiment un spectacle, peut-on parler d’installation ?
Par certains aspects, Asterism peut être considéré comme une installation, mais je préfère décrire la pièce comme une simulation. On y simule la réalité, la spiritualité, notre planète et la nature. C’est un espace où l’on peut éprouver et interroger nos façons d’interagir avec ce monde. Prenons l’exemple d’une maquette. Quand on la conçoit, on procède par élimination. On retire tous les aspects qui ne sont pas pertinents pour n’en conserver que les plus importants. En faisant cela, on arrache une partie du réel pour l’exposer. En l’occurrence, Asterism s’expose dans un cube noir où les personnes qui auront choisi de faire l’expérience de ce pèlerinage post-digital pourront s’interroger sur les éléments nécessaires à notre compréhension du monde. Que faut-il extraire du monde réel pour en générer une impression fidèle ? Jusqu’à quel point le modèle peut-il être réduit et toujours fonctionner ? Jusqu’où la création in vitro doit-elle aller pour paraître vraisemblable ?
Au-delà de la dimension spirituelle, les sciences et leur imaginaire semblent être un autre point d’entrée.
À l’origine, avant de me lancer dans la composition musicale, j’ai étudié la bio-informatique, avec une spécialité en sciences cognitives. Depuis quelques années, la relation entre mes approches artistiques et scientifiques est de plus en plus ténue, notamment à travers l’utilisation de l’intelligence artificielle comme c’est le cas ici. Asterism emprunte également aux sciences son aspect expérimental. C’est une expérience empirique et cognitive, une sorte de test comparatif pour analyser notre rapport à l’environnement, sous un angle émotionnel et fonctionnel. La scénographie comporte différents degrés de virtualité et de naturalisme qui nous incitent à nous poser des questions ou à modifier notre point de vue. D’une part, on a presque l’impression d’être dans la nature, d’autre part, on participe à une sorte de rituel technologique dont on saisit très vite le caractère simulé.
— Entretien réalisé par Stéphane Roth
Photo © Christophe Urbain