Entretien avec Ondřej Adámek
Né à Prague en 1979, diplômé à Paris, voyageur infatigable, Ondřej Adámek est une figure singulière au sein de la nouvelle vague européenne. En 2014, Musica lui consacrait un portrait en quatre partitions, et il présentait en 2018 son concerto pour violon Follow me emmené par Isabelle Faust. Il revient à Strasbourg en 2019 pour la création française de son opéra de chambre Alles klappt.
Manifestation liée
Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières
mardi 27 septembre 2022 18h30
Fossé des Treize
Avez-vous toujours été compositeur ? Est-ce un « cheminement » ?
Long ou court, le cheminement continue toujours. À onze ans m’est venue l’envie d’écrire un opéra, mais je n’ai écrit que l’accord initial… À douze ans, j’ai adoré la musique baroque, le clavecin et l’orgue, écrivant des pièces courtes en imitant le style. J’ai toujours beaucoup improvisé au piano aussi bien sur les touches que dans les cordes. À quinze ans, j’ai découvert la percussion et écrit des petites pièces pour trio à percussion, les instruments exotiques : tablas, didjeridoo, congas, flûte de pan, shakuhachi. J’en ai joué et écrit de petites pièces qui combinent ces instruments avec des instruments classiques, souvent en faisant se déplacer les musiciens dans l’espace.
J’ai toujours eu plus tendance à découvrir les sons et leur « poésie » et à expérimenter avec des instruments plutôt que de jouer ou d’analyser des partitions existantes. Enfin j’ai écouté autant de musiques des autres cultures que la musique classique ou contemporaine.
Je suis arrivé à Paris à vingt ans : premières expériences de studio électroacoustique avec Luis Naón, improvisation vocale avec Guy Reibel, orchestration avec Marc-André Dalbavie. Et j’ai évidemment profité de la grande ville et des rencontres…
Je cherche continûment à trouver la clarté et la simplicité, tout comme la plus grande efficacité de l’écriture. Le fait de diriger m’aide énormément. J’ai le sentiment qu’un très grand espace de liberté et d’expression s’ouvre devant moi.
Vous êtes né à Prague et vous y avez étudié la musique. Que reste-t-il aujourd’hui de ce pays, sa langue, sa culture, ses paysages, ses habitants ?
Je suis un grand amateur des chants populaires moraves et slovaques, même si j’ai un peu tardé à retrouver mes racines… Il y a un an, j’ai terminé Polednice pour choeur et orchestre. Cette partition est écrite sur un texte de Karel Jaromír Erben, un poète tchèque du XIXe siècle. Le poème m’a touché tant par la qualité de la langue que par celle de son histoire. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette première pièce sur un texte tchèque, à travailler la sonorité de cette langue complexe, phonétiquement riche et très accentuée. Dans la pièce suivante, Körper und Seele, que je viens de terminer, j’ai utilisé un texte populaire tchèque du XIXe siècle que j’ai combiné avec deux poèmes de Sjón, un écrivain contemporain islandais, et un mantra védique. Je garde toujours le contact avec mon pays, même si ma musique n’y est pas souvent jouée. J’ai en effet des exigences qui n’y sont pas encore réalisables (instruments spéciaux, nombre de répétitions...).
Je désire maintenant mettre ma culture en relation avec celles de lieux, de temps, et de spiritualités très variées.
Vous avez travaillé et habité en France, au Kenya, en Espagne, au Japon et aujourd’hui à Berlin. Il me semble qu’on suit cela à la trace dans votre oeuvre. Est-ce une bonne piste pour tenter de percevoir une continuité, une discontinuité dans votre trajectoire ?
Je suis comme une éponge ; je travaille dans divers pays et je me laisse inspirer, influencer par la culture, les traditions, la spiritualité, les gens de chaque lieu.
Au Japon, je suis souvent allé écouter le chant des moines bouddhistes, le théâtre Nô, le Bunraku. Mes pièces Nôise pour grand ensemble, Imademo pour trois musiciens et Ça tourne ça bloque pour ensemble sont très inspirées par ces voix très diverses.
À Nairobi, mon premier voyage hors d’Europe, j’ai travaillé avec le chorégraphe Opiyo Okach. Nous avons étudié les cultures ancestrales du Kenya, j’ai visité notamment les villages Massaï. Le résultat fût un spectacle, Abila, qui a été joué pendant quelques années. Des voix de vendeurs sont utilisées dans des échantillons de ma première partition pour ensemble, Gouttes petites gouttes.
En Espagne, j’ai écouté beaucoup de flamenco, ce qu’on perçoit dans mon
2e quatuor à cordes Lo que no’ contamo’. Je retourne souvent en Espagne et à chaque fois, je vais ré-écouter du flamenco.
À Berlin, je profite de la grande liberté des expressions artistiques. J’ai commencé à y développer une sculpture sonore et dynamique : Airmachine.
Ça tourne ça bloque (2007-2008)
Dans votre catalogue, on rencontre des écrivains, des plasticiens et des religieux. Ces compagnonnages sont destinés à durer ?
À Madrid, à la Casa Velásquez, j’ai rencontré des plasticiens : Muriel Moreau, graveuse, Charlotte Guibé, peintre, Laurent Millet, Aurélia Frey, Blaise Perrin, photographes. Avec Charlotte, nous avons produit le spectacle Le Dîner, où douze musiciens jouent autour d’une table, sur laquelle Charlotte peint pendant la pièce.
À Berlin, j’ai rencontré Sjón, l’écrivain avec lequel je continue de travailler. Ses poèmes et ses commentaires sur ces poèmes ont été le point de départ d’oeuvres récentes : Kameny et Körper und Seele. Nous travaillons aussi sur Seven Stones [créé en 2018 au Festival d'Aix en Provence], un projet d’opéra. Pendant l’hiver 2013, j’ai passé un mois en Inde pour un travail intensif, psychologique et spirituel, avec un maître illuminé Nithyananda. Ceci a transformé ma vie. Ma façon de me percevoir moi-même, les autres et le monde, ainsi que mes exigences et mon organisation du temps et du travail ont beaucoup évolué.
Vous écrivez pour les ensembles standards d’aujourd’hui (quatuor à cordes, ensemble de type EIC, orchestre etc.) et vous y adjoignez souvent des objets sonores que vous rencontrez … ou que vous inventez. Comment cela se passe ?
Depuis mon enfance, j’expérimente avec des sons et des objets divers que j’utilise comme des instruments à percussion. Encore enfant, j’ai cherché à imiter le son du clavecin pour pouvoir doubler mes cassettes avec de la musique baroque.
J’ai trouvé deux solutions :
- mettre un peigne dans les cordes de piano, le son était parfait mais le peigne a très vite commencé à se déplacer.
- une ancienne machine à écrire – plus stable mais sans hauteur, juste avec le bruit d’attaque.
Quand (déjà adulte), j’ai écrit B-low Up pour ensemble, j’ai inventé une combinaison d’aspirateurs avec des tubes harmoniques (gaines électriques annelées). J’ai ainsi amplifié le bruit de moteur et de l’air que fait l’aspirateur quand on l’allume et l’éteint. J’ai ramené de Colombie une Gaïta (flûte harmonique traditionnelle) que j’ai commencé à relier avec des grands ballons (Suissballs). Ainsi est né un instrument assez complexe qui marche avec l’air : Airmachine. J’ai aussi reçu une vieille guitare sans aucune valeur et j’ai commencé à expérimenter en la désaccordant et en rajoutant des chevalets supplémentaires. J’ai obtenu ainsi une très drôle imitation du son des cordes orientales que j’ai utilisées dans Kameny. Pour l’opéra Seven Stones que j’écris en ce moment, les seize chanteurs sur scène vont tous jouer des objets ou des instruments de musique transformés.
Alles klappt (2018) - reportage de création
Un compositeur compose : tout le temps ? à la commande ? Quelle organisation dans la vie quotidienne ?
J’ai la chance de pouvoir imaginer des projets très divers tout en recevant en même temps des commandes qui coïncident avec mes envies. J’ai besoin d’à peu près neuf mois de « grossesse » pour chaque nouvelle partition. Les commandes doivent être conçues au moins deux ou trois ans à l’avance. Plus longtemps le projet peut mûrir avant que j’en commence l’écriture, mieux c’est ! Par exemple, j’ai commencé à concevoir l’opéra Seven Stones en 2012 et la création est prévue pour 2016. Pour moi, l’écriture de la partition, quand les idées sont claires, est le moment le plus agréable, où je me sens très heureux. Je n’ai alors besoin ni de vacances ni de loisir pour me reposer ! Certaines étapes sont difficiles, spécialement quand j’écris un type de musique que je n’ai encore jamais rencontré. La dernière période de travail sur une partition, très souvent sous pression à cause de la date, est toujours très excitante et efficace. Il y a aussi une grande partie de travail de bureau : des emails, des dossiers, des textes et des coups de téléphone. Ceci m’amuse aussi mais je le fais seulement quand je suis fatigué de composer. Mais si j’avance dans la composition, le travail de bureau prend du retard… Mais je prends aussi le temps de diriger ma musique, de voyager, de construire des instruments, de faire du yoga et de voir des amis…
/// Propos recueillis par Jean-Pierre Derrien le 10 mai 2014.